Par Olivier Brongniart, Président Cost House
La performance économique de l’entreprise passe aujourd’hui par celle de ses fournisseurs. Cette affirmation n’est pas une conviction, mais une simple déduction arithmétique : environ 70% des coûts d’une organisation, qu’elle produise des biens ou des services, portent sur les achats externes. Comment croire dans ce contexte, que l’on peut limiter sa relation avec ses sous-traitants à une pression continue et sans vision sur les prix d’achats ? De ce point de vue, les pratiques françaises sont en fort décalage avec celles de nos partenaires économiques. Les Allemands ou encore les Italiens, mais aussi plus loin de nous les Coréens, ont une conception de leur relation fournisseur qui s’inscrit dans la durée et qui est ancrée dans les territoires. Les notions de compétence, qualité, continuité, relation sont au cœur des préoccupations, sans pour autant pénaliser la performance économique. Cette vision permet au contraire de construire une performance économique durable, où la notion de création de valeur partagée ne reste pas qu’un discours.
Après la seconde guerre mondiale, les pays Européens engagent la reconstruction du tissu industriel mais aussi de services (banques, assurances …). De grands groupes sont constitués, dans un schéma d’intégration forte. Le faible appel à la sous-traitance ne permet pas encore à la fonction achats de se structurer. Les années 60 connaissent un rythme de croissance impressionnant. L’enjeu est alors d’être en mesure de produire du volume. La fonction « approvisionnement » prend alors sa place dans la chaîne de valeur de l’entreprise. Les premières crises pétrolières des années 70 modifient l’équation économique : apparition du chômage, pression sur le pouvoir d’achat, il faut désormais produire biens et services au juste prix. Il faut donc acheter au bon prix et le métier « achats » se structure principalement autour de techniques de négociations. En parallèle, les entreprises cherchent à se protéger des dérives éventuelles de corruption, mécanismes de contrôles qui sont à la source notamment des approches d’achats publics.
Les années 80, avec un virage libéral fort pris par l’ensemble des pays occidentaux, connait un mouvement général d’externalisation. Les entreprises se concentrent sur leur « cœur métier » réputé stratégique, et choisissent de faire appel plus massivement à la sous-traitance. Dans ce contexte, la fonction achat prend ses lettres de noblesse. On « professionnalise » la fonction et la filière en général, avec notamment l’arrivée dans les années 90 des premières filières de formation dédiées aux achats. En parallèle de ce mouvement, l’ouverture de la Chine à l’économie de marché, la globalisation progressive des échanges commerciaux introduit de nouveaux leviers, et notamment le sourcing dit « low cost countries » (LCC). Le vingt-et-unième siècle s’engage avec la poursuite de la crise (notamment sur le domaine des nouvelles technologies) et l’introduction de ces dernières dans les processus achats (E-sourcing, E-bidding, Places de marchés, Enchères inversées). La pression économique pousse la profession à aller vers une compréhension fine de la structure de coût des produits et services achetés. C’est le développement du « Cost Controling ».
Aujourd’hui, les vagues successives de crises et la fragilité des acteurs économiques imposent de modifier le rapport entre donneurs d’ordres et fournisseurs. La défaillance d’un fournisseur est un facteur de risque pour le client, et au contraire, l’accompagner vers une croissance et une profitabilité durables constitue un objectif commun qui devrait être partagé. Par ailleurs, on introduit de plus en plus la dimension RSE (Responsabilité Sociétale de l’Entreprise) au sein des achats. Au-delà des effets de communication, il s’agit en réalité d’une anticipation des risques de perte de productivité. En effet, que ce soit les matières premières ou l’énergie, ou encore la main d’œuvre des pays en développement, l’ensemble des ces éléments seront structurellement plus chers demain.
Comme le montre ce petit historique, il faut réinventer son métier régulièrement pour s’adapter aux enjeux de l’époque. Au même titre que les entreprises ont compris que les collaborateurs constituaient un capital (immatériel) qu’il fallait savoir développer, les fournisseurs méritent aujourd’hui une démarche similaire, de passer des « achats » à la « gestion des ressources externes ».
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